Can
Ne vous en déplaise, CAN est LE groupe
allemand. S'il ne faut en retenir qu'un, c'est définitivement celui-là. Aujourd'hui
intrônisé comme une référence absolue par des groupes aussi divers que TORTOISE, MOUSE
on MARS, UI ou THE BETA BAND, le groupe du bassite Holger CZUKAY ne jouissait pourtant pas
d'une telle aura au beau milieu des années quatre-vingt dix.
L'histoire de CAN débute à la fin des années soixante. Delay, publié pour la
première fois en 1981, atteste de cette activité, mais aussi de la grande forme d'un
groupe qui, d'emblée, se moque des barrières. Musique élastique soutenue par la
rythmique agile et entraînante du redoutable Jacki
LIEBEZEIT, la formation se complète par la présence du claviériste Irmin SCHMIDT et du
mésestimé Michael KAROLI, décédé dans l'indifférence générale fin 2001, et qui
était à l'Allemagne ce que Robert FRIPP est à l'Angleterre. Cette solide formation
restera inchangée quasiment tout au long de sa carrière. Les seuls réels changements
vont intervenir au niveau des chanteurs ; il y eut tout d'abord le noir américain Malcolm
MOONEY pour la
sortie de leur premier disque, Monster Movie, puis, très vite, dès Soundtracks
en 1970, l'introduction du japonais Kenji " Damo " SUZUKI qui
restera jusqu'en 1973, établissant, au cours de cette période, la formation classique et
essentielle du groupe allemand.
En 1971, ils reviennent avec l'imposant
double album, Tago Mago et assoient définitivement leur style, qui
n'est pas loin, d'une certaine
manière, des expérimentations électriques menées à l'époque par un certain Miles
DAVIS. Adepte aussi du collage, ils redécoupent leurs bandes pour
retenir la quintessence de leurs improvisations endiablées auxquelles ils ajoutent de
multiples effets et échos pour leur donner ce feeling spacial
qui fait la marque de fabrique de la plupart des groupes allemands. Se voulant donc
hétéroclyte de par sa configuration, et réceptif à toutes
formes de musiques, qu'il s'agisse de jazz, d'électronique, de musique ethnique ou
contemporaine, CAN se révèle être un laboratoire organique des
plus passionnants. Si Tago Mago a élevé le niveau et reste encore
aujourd'hui comme une des références absolues de ce que l'on a vite fait
d'étiquetter en tant que Kraut Rock, Ege Bamyasi , paru l'année suivante,
confirme la direction adoptée et fait la synthèse de Tago Mago en
dressant un sans faute où la batterie de Jacki LIEBEZEIT se fait de plus en plus funky et
le son général du groupe de plus en plus rond et chaud, KAROLI y contribuant en grande
partie, notamment en doublant ses parties de guitares par des séquences jouées au
violon. De Pinch à Spoon , rien est à jeter.
Occulté par les références absolues que sont ses deux prédécesseurs, Future Days
, en 1973, n'en est pas moins un des tout bon disques de CAN,
peut-être leur plus subtil et le plus raffiné, s'engageant ici dans une voie plus jazzy
atmosphérique que ces prédécesseurs (conferatur la longue suite
de vingt minutes, Bel Air , qui clôt l'album). Comme indiqué plus haut,
après le départ de SUZUKI, les parties vocales seront désormais prises en charge par
Irmin SCHMIDT et Michael KAROLI. Même si aucun n'essaye de singer ce que le chanteur
japonais tentait de faire auparavant, cela ne fait aucune différence, puisque, tant
Malcolm MOONEY que Keiji SUZUKI étaient en réalité de piètres chanteurs. Ce qui
prévalait, et ce qui prévaut toujours au moment de publier Soon Over Babaluma,
ce n'est pas la performance, mais le feeling. Et ce feeling, CAN en a toujours regorgé.
Même si ici il ne prédomine pas, rendant cet essai moins immédiat que les illustres
albums qui l'ont précédé, Soon Over Babaluma est une pièce bien
au-dessus de la moyenne qui nécessite peut-être un apprivoisement progressif et tout en
douceur.
Pourtant, au regard de ce qui va suivre, on peut comprendre que cet album sonnait quelque
part le début de leur déconfiture. Avec Landed en 1975,
l'orientation affichée est plus consensuelle et plus rock. Les sonorités employées
rappellent qu'il s'agit bien du même groupe mais on ne retrouve quasiment plus aucune
trace de cet esprit frondeur et aventureux qui faisait de chaque album de CAN une étape
de plus dans les méandres de notre subconscient. Flow Motion en 1976 et
Saw Delight en 1977 vont intégrer deux anciens membres du groupe
anglo-saxon TRAFFIC, respectivement Rosko GEE à la basse, et Rebop Kwaku BAAH aux
percussions. Si la décrépitude du groupe ne leur est pas imputable, force est de
constater qu'un des éléments clés de la formation s'efface peu à peu, Holger CZUKAY,
et avec lui, peut-être, cette ingéniosité qui leur fait désormais tant défaut. Sur Saw
Delight, CAN se réessaye pourtant aux longues suites instrumentales avec Animal
Wave . Si certains de ces éléments sont satisfaisants, ils n'arriveront pourtant
jamais à la cheville d'un titre comme, par exemple, Soup sur Ege
Bamyasi .
Un Out of Reach en 1978 et
un sobrement intitulé Can en 1979 mettent un point final à un
groupe qui s'est peu à peu laissé mourir pour on ne sait trop quelle(s) raison(s). Une
reformation aura pourtant lieu dix ans plus tard. C'est Rite Time qui
réintègre Malcolm MOONEY. Sans grand effet puisqu'il s'agira d'un véritable coup dans
l'eau.
Depuis, coffrets, compilations, vidéos et rétrospectives circulent partout pour tenter
de mettre en lumière une des formations phares les plus
passionnantes des années soixante-dix. Ne fût-ce que dans sa première partie de
carrière.
(D.S)
Quelques liens sur
le sujet:
http://www.spoonrecords.com/sitemap.html