Van Der Graaf
Generator et Peter Hammill
S'il fallait évaluer le potentiel de
popularité d'un groupe à partir de son nom, nul doute que VAN DER GRAAF GENERATOR ne
serait pas celui sur lequel on augurerait d'un grand succès ! Du reste, il n'en a guère
eu
Pourtant, "Van Der Graaf" était le nom d'un physicien américain
inventeur d'un générateur auquel il a bel et bien donné son nom et qui disparut en
1967. C'est cette même année que Peter HAMMILL, Chris JUDGE SMITH et Nick PEARNE forme
leur groupe en empruntant son nom à Robert Van Der Graaf. C'était ça, ou "Zeiss
Manifold & The Shrieking Plasma Exudation" !
Très vite, PEARNE quitte le groupe, mais
HAMMILL et SMITH se trouvent assez d'affinités pour enregistrer un bon paquet de démos
et recrutent un claviériste, Hugh BANTON, et un bassiste, Keith ELLIS. La formation
enregistre bientôt un premier 45T., People You Were Going To/Firebrand., qui,
suite à des complications contractuelles, disparaît des bacs en quelques jours ! JUDGE
SMITH quitte à son tour le groupe, qui intègre en revanche un batteur, Guy EVANS.
Quelques concerts, puis un vol de matériel
C'en est fini de la première phase de
VDGG !
Peter HAMMILL, qui se révèle être un très prolifique compositeur, décide
d'enregistrer un album solo avec ses camarades en invités. Résultat : The Aerosol
Grey Machine (1969) sort finalement sous le nom VAN DER GRAAF GENERATOR, et
uniquement aux Etats-Unis, sur le label Mercury ! En dépit du caractère rocambolesque de
sa conception, ce disque contient déjà les prémices de l'identité musicale
"vandergraafienne" : un goût pour les ballades anxiogènes (Afterwards),
les climats ambigus, les développements inattendus et démesurés (Octopus, Aquarian)
et les sons d'orgue trafiqués (Hugh BANTON).
C'est cependant avec l'album suivant, The Least We Can Do Is Wave To Each Other,
paru chez Charisma en 1970, que VDGG impose au public son sens si particulier de la
démesure troublée. Le remplacement du bassiste Keith ELLIS par Nic POTTER et l'arrivée
de David JACKSON et de son saxophone rugueux et convulsif permettent au groupe de se
forger un son unique. Les morceaux, tous écrits par HAMMILL, se font plus matures en se
parant des interventions instrumentales de "JAXON" et de BANTON, puissamment
soutenus par la section rythmique éloquente de POTTER et EVANS. L'album contient de bien
étranges histoires dont les titres laissent transparaître d'obscures interrogations
existentielles (Darkness, After The Flood, Refugees
).
Moins d'un an après la parution de cet album, VDGG récidive avec un autre disque au
titre encore plus abscons, H To He, Who Am The Only One (1970). POTTER ayant
quitté le groupe avant la fin des sessions d'enregistrement, VDGG devient un quartet, à
charge pour BANTON d'assurer et ses claviers traficotés et la basse ! Cela ajoute encore
plus de singularité au son du groupe, qui se passait déjà fort bien de guitare
électrique. Cela n'empêchera pas VDGG d'accepter la participation de Robert FRIPP sur un
titre (The Emperor In His War-Room). La musique est à l'image du titre de
l'album : mystérieuse et complexe, rageuse (Killer, pièce maîtresse des
concerts) ou douloureusement intimiste (House With No Door) toujours plus
grandiloquente et emphatique (Lost), avec des textes hammilliens qui fleurent bon
la science-fiction allégorique (Pionners Over C) et interprétés par une voix
aussi expressive que possédée et qui ne recule devant aucune blessure émotionnelle de
l'esprit humain.
La singularité de l'univers vandergraafien se dévoilera à un plus large public (pas
toujours rassuré, certes !) à l'occasion d'une tournée organisée par le label Charisma
en compagnie de GENESIS et de LINDISFARNE. L'Italie portera un
tel triomphe au groupe qu'il y retournera assez souvent, donnant parfois deux concerts par
jour ! Sur scène, le caractère écorché et démiurgique de VDGG se déploie sans
complexe, et fascine autant qu'il inquiète. Un peu à la manière de KING
CRIMSON, VDGG propose une alternative convaincante au symphonisme printanier des
autres formations progressives de l'époque alors en vogue.
Alors que le succès du groupe s'accroît (de façon très relative, s'entend), Peter
HAMMILL s'octroie une première pause soliste. Comprenant plusieurs anciennes chansons
intimistes au format réduit, à l'opposé des opus à rallonge de VDGG, Fool's Mate,
enregistré avec les musiciens de VDGG, de LINDISFARNE et Robert FRIPP, sort en 1971.
La même année paraît le quatrième disque de VDGG, Pawn Hearts, véritable
pierre d'achèvement d'un édifice flamboyant et ravagé. Ici, le groupe franchit encore
d'autres frontières et plonge corps et âme dans l'exploration d'une certaine forme de
démesure qui semble être le seul chemin vers la rédemption. Originalement prévu pour
être un double LP, Pawn Hearts ne contient finalement que trois morceaux,
magiques, illuminés et incendiaires. D'emblée, Lemmings, autre pièce favorite
des concerts, transmet à l'auditeur le virus de l'inquiétante étrangeté, tandis que Man-Erg
dévoile une souffrance majestueuse et consciente de son implacable réalité. Robert
FRIPP est de nouveau convié à dispenser ses solis guitaristiques de braise et VDGG nous
emporte dans un ultime voyage, décisif, avec l'épique A Plague Of Lighthouse Keepers,
qui s'étale sur toute la façe B du 33 Tours. Plaintive, convulsive et effrayante dans
ses envols frénétiques, cette suite parachève l'art de VDGG dans un manège de
hurlements saxophoniques, de tourbillons claviéristiques et de complaintes vocales
charismatiques.
Et, alors qu'une reprise en 45 Tours du Theme One de George MARTIN permet enfin
au groupe de s'attirer les sympathies des faiseurs de hits-parade (en 1972), VDGG met
brutalement fin à sa course révulsée, honorablement résumée par la compilation 68-71.
Fin du premier round
ou presque ! Peter HAMMILL ne reste pas inactif et se produit en concert en solo,
et même parfois accompagné de ses compères de VDGG, avec lesquels il enregistrera ses
nouveaux opus solistes. Trois d'entre eux se succèderont en 1973 et en 1974 : Chameleon
In The Shadow Of The Night, The Silent Corner & The Empty Stage et In
Camera. Par bien des aspects, et quand bien même VDGG n'existe plus, ces trois
albums sont liés à l'univers du "genérateur". Si Peter HAMMILL y évoque bien
entendu des sujets très personnels en une poésie volontiers ésotérique, les
arrangements musicaux s'inscrivent dans la logique expérimentale de VDGG. Que les
morceaux soient à dominante acoustique (chant-guitare ou chant-piano) ou qu'ils soient
submergés d'électricité visqueuse, la quête existentielle hammillienne brûle de ses
feux les plus extrêmes, allant, dans In Camera, jusqu'à se fondre dans la
sémantique corsée de la musique dite concrète (Magog). C'est probablement dans
cette "trilogie" discographique que Peter HAMMILL, affranchi des limites entre
les genres, délivre toute l'étendue de son expression vocale et instrumentale, dans un
foisonnement confondant, abstrus et passionné qui, aujourd'hui encore, est loin d'avoir
été assimilé. Certaines pièces montées telles que Black Room, Forsaken
Gardens, A Louse Is Not A Home ou encore Gog feront du reste partie
du répertoire "live" de la nouvelle mouture de VDGG, qui reprend finalement du
service en 1975, après que les autres membres du groupe se soient autorisés une escapade
vers une musique aux relents jazz-rock, intimiste et plus sereine, en compagnie de
musiciens italiens sous le nom THE LONG HELLO.
A peine In Camera paru, en septembre 1974, Peter HAMMILL fait publier également
un recueil de textes, paroles de chansons et poésies sous le titre Killers, Angels,
Refugees (Charisma Books), qui permet d'en savoir plus sur son univers mental, et
convie ses camarades David JACKSON, Guy EVANS et Hugh BANTON à jouer sur un nouvel album
solo. Après Gog/Magog sur In Camera, on pouvait s'attendre à tout,
mais certainement pas à retrouver Peter HAMMILL sous les traits d'un rebelle punk en
phase pubertaire, Rikki NADIR, qui veut hurler sa souffrance et"smasher le
système" avec des jets de Stratoscaster. Cette attitude connaîtra son âge d'or en
1977, comme chacun sait
Nadir's Big Chance, sorti en 1975, tourne
effrontément le dos aux perspectives affichées dans la trilogie Chameleon In The
Shadow Of The Night (1973), The Silent Corner & The Empty Stage (1974)
et In Camera (1975). Finies les tirades métaphysiques génitrices de morceaux à
rallonge, place à l'urgence électrique (Open Your Eyes, Birthday Special
)
sans pour autant abandonner les ballades désespérées (Been Alone so long, Shingle).
Dans le même temps, les quatre complices se déclarent prêts à reprendre l'aventure du
"Generator". Cette fois, le groupe se manage lui-même et ses nouvelles
compositions sont d'abord éprouvées sur scène avant d'être enregistrées. Un VDGG tout
neuf apparaît lors de la tournée de mai 1975, qui contient un bon nombre de dates
françaises. De son ancien répertoire, le groupe ne joue que deux ou trois pièces et
présente ce qui figurera peu après sur l'album Godbluff et, déjà, une partie
de Still Life. L'expérience "Nadir" le laissait présager, le VDGG
nouveau est résolument électrique, PH se dévouant de plus en plus pour la guitare et
BANTON construit un nouvel orgue. A bien des égards, Godbluff, qui paraît en
octobre 1975, hisse le groupe à un nouveau stade de son évolution: le son et l'écriture
sont moins datés "seventies-baba", la connivence textes/musique se fait plus
saillante et précise. Les quatre pièces de l'album, résonnent comme le manifeste d'une
musique tendue, sophistiquée et heurtée, bouillonnante et "spleenétique",
reculant l'échéance de la folie pour mieux la sertir d'éclats flamboyants. Jamais
HAMMILL n'avait murmuré si bas (The Undercover Man), jamais il ne s'était
autant déchiré la voix (Arrow)! Jamais la musique de VDGG n'avait autant
ressemblé à un champ de bataille (Scorched Earth), s'offrant même quelque
digression ironique (l'épisode cha-cha-cha de The Sleepwalkers). Le terrain est
miné ; c'est comme si le groupe entamait une course contre la montre, peut-être pour
rattraper un temps perdu
En avril 1976, Still Life s'affiche comme le complément direct de Godbluff
: même environnement sonore, même contexte psychologique, sauf que la violence se fait
plus feutrée, contenue. Le morceau éponyme et My Room dévoilent des langueurs
délétères, contournant les dérapages avec une perversité outrée. L'emphase
prophétique reprend ses droits avec Childlike Faith in Childhood's End, tandis
que La Rossa, hommage halluciné à l'idéal féminin, et Pilgrims,
prodigieux hymne existentiel, baignent l'univers hammillien de lumière incantatoire. VDGG
vient de concevoir une "nature morte" susceptible de briller pendant encore
plusieurs générations.
A peine Still Life sorti, et bien que tournant intensément (notamment en
Angleterre, en France et en Suisse), le quartet répète déjà pour son nouveau disque, World
Record et, dans la foulée, Peter HAMMILL enregistre son nouveau disque solo, Over.
L'un et l'autre opus témoignent des troubles vécus par le Générateur. Quoique de bonne
tenue, World Record (1976) décontenance l'auditoire en introduisant
l'improvisation dans les compositions. L'épique Meurgly's III, bien parti pour
devenir un nouveau sommet d'écriture vandergraafien, s'égare ainsi en développements
instrumentaux plus ou moins aléatoires sur un schéma quasi reggae ! En clôture de
l'album, Wondering a des allures de générique de fin, car annonçant dans ses
tournoiements d'orgue et ses flashs de conscience hammilliens une inespérée
rédemption
Over (titre à l'ambiguité sublime), quant à lui, fait figure
de nouvelle volte-façe à l'épisode Nadir, car en partie inspiré par une
déchirure sentimentale vécue à l'époque par Peter HAMMILL. On avait déjà pu
remarquer dans World Record que l'idéal féminin en prenait un coup dans l'aile
avec le grinçant When She Comes
Over, qui transpire la meurtrissure
solitaire, a des allures de chef-d'uvre intemporel, mêlant ballades symphoniques
brisées (This Side of The Looking-Glass, Autumn), complaintes intimistes
désabusées (Betrayed), écarts électriques aigris (Crying Wolf) et
thèmes épiques en quête de délivrance (Time Heals, Lost & Found).
En un an, VDGG aura enregistré trois albums et Peter HAMMILL en aura enregistré un : la
comète est passée, sa course s'épuise, BANTON et JACKSON quittent le manège, c'est la
fin d'une époque.
Le temps n'est pourtant pas au deuil. HAMMILL et EVANS entament une nouvelle aventure
musicale et recrutent pour ce faire le violoniste de STRING DRIVEN THING, Graham SMITH
(apparu sur Over), et rappellent
Nic POTTER, dont le jeu de basse a bien
mûri ! Le nouveau quartet n'a plus besoin du GENERATOR pour relancer VAN DER GRAAF. La
formule chant/guitare, violon, basse et batterie se rôde sur scène et sort en septembre
1977 un disque, The Quiet Zone & The Pleasure Dome. En phase avec son
époque, VdG pratique un rock acariâtre qui déconcerte un temps certains fans. Les
compositions sont globalement plus "ramassées" que du temps de VDGG ; un
nouveau pas dans l'électricité "urgente" est franchi (les frénétiques Cat's
Eye/Yellow Fever et The Sphinx in the Face), mais le verbe hammillien n'a
rien perdu de sa verve incendiaire et de ses épanchements mélancoliques sublimés (Siren
Song, The Wave). Hélas, le compteur des finances du groupe sombre dans le rouge ! Il
est malgré tout décidé de réaliser un album live, qui sera enregistré au Marquee de
Londres, avec le concours de Charles DICKIE (violoncelle, piano, synthétiseur) et d'un
revenant, le saxophoniste David JACKSON, dont la performance sera malheureusement
desservie par des micros obsolètes ! Publié en juin 1978, le double LP Vital
montre un VdG totalement survolté, livrant des versions chauffées à blanc et presque
méconnaissables d'anciens morceaux de VDGG (Pioneers over C, Plague of Sleepwalkers)
et des pièces inédites aux allures "rikkinadiriennes" (Ship of Fools,
Door, SCI-Finance). Le punk est passé par là, et VdG le salue bien bas avant de
tirer son coup de chapeau définitif ! Là où beaucoup ont cru avoir affaire à une digne
anthologie représentative du parcours de VDGG, Vital doit plutôt être perçu
comme l'instantané d'un moment de l'histoire du groupe, un moment rare et à priori
impensable où la musique progressive des seventies se conjugue aux cris d'alarme des
partisans du "no future".
"No Future", "no future"
c'est vite dit ! En cette année 78,
Peter HAMMILL ne trouve pas mieux que d'intituler son nouvel album solo The Future Now
(Le Futur, maintenant), prenant ainsi à revers tous ceux qui pensaient faire du mot
d'ordre nihiliste un nouveau coussin d'air pour mieux somnoler.
Enterrés par une ultime compilation (Repeat Performance), VDGG /VdG ne sont plus, le punk
se désagrège, une nouvelle phase créatrice est entamée par l'inépuisable
"caméléon" Peter HAMMILL.
(S.F)
Quelques liens sur
le sujet:
http://www.vandergraafgenerator.co.uk/