Art Zoyd
Aux côtés de MAGMA et ETRON FOU
LELOUBLAN, ART ZOYD demeure lexpérience musicale la plus singulière issue de
lHexagone. Si, du premier, elle a gardé une certaine propension à la mise en place
dambiances lourdes en intensité, elle est pourtant plus proche du second de par sa
grammaire hors normes et ses accointances avec le mouvement Rock in Opposition.
1969 1975 :
(presque) rien à voir
Les premières traces sur disque de ce collectif (appellé alors Art Zoyd III) date,
déjà, de 1969, avec le 45tours Sangria , publié par Chant du Monde, et
qui, contrairement à son titre, ne sapparente pas à une vague espagnolade, mais
plutôt à un rock endiablé dà peine deux minutes comme le pratiquait alors AMON DÜÜL II, période Phallus Dei . On retrouve
ce titre, longtemps indisponible, sur le disque Archives I ; il
permet davoir une bonne vue densemble sur lévolution de cette formation
inclassable. A ce stade du groupe, Rocco FERNANDEZ en était, de toute évidence, à la
fois la plume et la tête pensante. Il faut attendre néanmoins 1972 (illustré sur cette
compilation par le titre en concert Golf Drouot 1972 ) pour quapparaissent
Gérard HOURBETTE et Thierry ZABOITZEFF qui, bientôt, veilleront à la destinée
dART ZOID. Ce morceau, mais plus encore Manège , datant de 1976,
contiennent déjà tout lunivers de ce groupe unique avec de longs dialogues violons
- trompettes qui ne sont pas sans évoquer Bélà BARTOK..
Repères Discographiques :
Archives I (1969-85)
1976 - 1982 :
matières premières premières matières
Il aura donc fallu près de dix ans et dincéssants changements de personnels pour
que ART ZOYD se trouve un style bien à lui. Cette même année est publié leur premier
album Symphonie pour le Jour où Brûleront les Cités (qui sera
remixé quatre ans plus tard) : cest demblée une uvre majeure. Patricia
DALLIO, Alain ECKERT, Gilles RENARD et Jean-Pierre SOAREZ viennent soutenir le duo
infernal à renfort de piano, violons, saxophones, trompette, basse et guitare. La musique
est lyrique en diable et possède toute la dynamique et la force que lon retrouvait
déjà dans MAGMA (lutilisation des voix sur Brigades Spéciales, Masques
ou Scènes de Carnaval ne laissent pas planer le moindre doute là-dessus
).
Malgré labsence
dun batteur aussi charismatique que Christian VANDER, la musique dART ZOYD
est, quoi quon en dise, puissamment rythmique : De par ses thèmes, ses
répétitions et son jeu bruit silence, bruit repos (en référence à un
titre de leur répertoire). Dès lalbum à venir, Musique pour lOdyssée
, Daniel DENIS, du groupe belge UNIVERS ZERO, viendra leur
prêter main forte pour accentuer davantage cette tendance avec un travail de
retenue magistral aux percussions. UNIVERS ZERO qui est, sans
aucun doute, le meilleur parrallèle que lon puisse établir pour évoquer la
musique dART ZOID, sans toutefois atteindre la noirceur sépulcrale de leurs amis
dOutre-Quiévrain.
Mais revenons à Symphonie pour le Jour où Brûleront les Cités : cinq titres,
trois compositions signées Gérard HOURBETTE, les deux autres, sous lintitulé Deux
images de la Cité Imbécile, crédités Rocco FERNANDEZ et un travail en partenariat
avec les omniprésents HOURBETTE et ZABOITZEFF. Limagerie apocalyptique, fataliste,
glauque et sans aucun espoir dans la condition humaine rejoint également les pamphlets
misanthrope ornant lintérieur du disque mythique, Mekanik Destrukitiw
Kommandöh, troisième opus kobaïen.
Pour les comparaisons à MAGMA, cela sarrête là. Dabord, parce que leur
musique va, assez rapidement, séchapper de ce peut-être inavouable modèle.
Ensuite, parce que linfluence des musiques contemporaines est tellement imposante et
référentielle, et pour tout dire, évidente, quils ne pourront pas ne pas la
revendiquer. Dailleurs, cest à se demander ce que lon trouve de rock,
voire de rock progressif à cette musique qui nest, ni plus ni moins, que le
véhicule le plus moderne à lexpression de la musique classique du vingtième
siècle. Moderne parce que, oui, la seule chose quelle concède à la musique rock,
cest son emploi de la basse électrique et de la guitare, encore que, pour cette
dernière, elle est jouée en petites touches pastels, entre dissonances à la Derek
BAILEY et coup déclats inattendus à la Gary SMITH (Les Fourmis ). Moderne
encore, parce quau fil du temps, ART ZOID va de plus en plus faire appel à
lélectronique qui finira par prendre une place prépondérante dans leur manière
de concevoir la musique.
Mais avant cela, sont publiés, respectivement en 1979 et 1980, Musique pour
lOdyssée et Génération sans Futur. Outre Michel THOMAS au saxophone
et Franck CARDON au violon, Michel BERCKMANS au basson et hautbois viendra rejoindre,
comme sur Hérésie dUNIVERS ZERO, son complice,
Daniel DENIS. Fondamentalement, la musique ne change pas. Musique pour lOdyssée
se décline en trois compositions, contre seulement cinq pour « Génération sans
Futur », avec toujours en guise dintroduction une pièce maîtresse, dépassant
allègrement le quart dheure, faits de silences, déclats, dosmose et de
cacophonie orchestrée. Dans lensemble, « Musique pour lOdyssée » semble
moins chaotique que son prédécesseur, tout en affinant un peu plus son propos. Gérard
HOURBETTE et Thierry ZABOITZEFF ont toujours la main mise sur lécriture, mais
permettront linclusion d une composition de Gilles RENARD et une autre
dAlain ECKERT pour Génération sans Futur. Latmosphère reste
toujours aussi oppressante mais se diversifie quelque peu avec, étonnamment, cette touche
rock que lon croyait disparue, notamment dans la construction de la plage titre.
Hélas, trois fois hélas et ce nest pas faute davoir cherché - je ne
pourrais pas vous parler de Phase IV , leur double album publié en 1982,
dont, évidemment, on dit beaucoup de bien. Cest peut-être dailleurs le
chaînon manquant avec leur cinquième disque décrit au paragraphe suivant
Repères Discographiques :
Symphonie pour le Jour où Brûleront les Cités (1976)
Musique pour l'Odyssée (1979)
Génération sans futur (1980)
Phase IV (1982)
1983 - 1987 :
préparer le futur (sans génération)
Un an plus tard, sort donc Les Espaces Inquiets et il laisse entrevoir les
prémices dune intrusion bientôt exclusive de lélectronique au détriment de
lacoustique dont ils étaient jusquici de brillants représentants. Légendes,
qui ouvre et clôt le disque au travers de ses deux parties, en est un bon exemple. Il
nempêche ; la formule est plus convaincante que jamais, de par létendue de
ses arrangements, et le titre Cérémonie sinscrit dans la pure tradition
Zoydienne ( ?!). Didier PIETTON vient remplacer Michel THOMAS au saxophone, constituant
ainsi la formation en quintette la plus stable de léquipe, avec HOURBETTE et
ZABOITZEFF, bien sûr, mais aussi les fidèles Jean-Pierre SOAREZ à létincelante
trompette, et Patricia DALLIO dont le piano a pris ici une place encore accrue. Cest
la même configuration qui se retrouvera deux ans plus tard pour lenregistrement
dune étape majeure dans leur déjà longue histoire.
Dans lintervalle, Thierry ZABOITZEFF est le premier à se lancer dans
lexercice périlleux du disque solo, prouvant donc ainsi, dès 1984, son besoin
démancipation. Il sagit de Prométhée, paru sur Cryonic, musique
pour la pièce Aeschylus Prometheus du Collectif Théatral du Hainaut, et
qui laisse présager ce qui est à venir.
En 1985, avec Le Mariage du Ciel et de lEnfer, ART ZOYD va mettre la main
dans un engrenage dont il ne sest toujours pas échappé aujourdhui. En effet,
ce disque est le résultat dune étroite collaboration entre les membres du groupe
et Roland PETIT, dont la musique, ici créée, est un travail de commande inédit destiné
à illustrer le ballet de ce dernier. Comme peut le laisser supposer le titre, ce nouvel
opus oscille entre moments de ruptures ( Cryogénèse ) et
dangélisme pervertis ( Mouvance 1 et 2 ), parce que ART ZOYD reste adepte
des atmosphères tendues et inquiétantes. Aussi, cette tendance à souvrir à
dautres formes dexpressions artistiques va permettre à ART ZOYD
daffiner sa recherche et de se trouver de nouveaux terrains à explorer ou, plutôt,
de nouvelles manières de les aborder, au moment où le groupe semblait ne plus être
capable de se renouveller. Ainsi, il participera intensément à des tas dactivités
« autres » ; musiques pour ballet et pour pièces donc, musiques inaugurales également,
le projet musical-performance Marathonnerre sur lequel nous aurons
loccasion de revenir, et enfin, musiques pour documentaires vidéos et musiques de
films.
Avant cette plongée définitive dans les projets annexes, est publié Berlin ,
le dernier réel disque en date, le dernier travail de groupe avant de resserer la
formation autour dun quartette incluant désormais Daniel DENIS, de plus en plus
souvent réquisitionné au point de devenir un membre à part entière, et se passant des
services pourtant impérissables de Jean-Pierre SOAREZ. Berlin, avec ses deux
longues suites, est peut-être aussi, de toute leur discographie, le meilleur ambassadeur
afin de se familiariser avec lunivers du groupe.
Repères Discographiques :
Les Espaces Inquiets (1983)
Archives II (1984-87)
Le Mariage du Ciel et de l'Enfer (1985)
Berlin (1987)
Thierry ZABOITZEFF :
Prométhée (1984)
1989 - 1997 : musiques
pour le ciné
Le projet Marathonnerre
, développé conjointement avec Serge NOYELLE pour qui ils travailleront
également sur MacBeth, et dont nous parlions plus tôt, est un hallucinant
spectacle de douze heures de musique ininterrompue, dont Atonal publiera deux tomes en
1993 en guise de témoignage.
Inutile de dire que sur disque, on est loin de délivrer limpact dune telle
expérience.
Mis à part ce hiatus, et une activité intensive de ces différents membres dans des
carrières solos inégales, ART ZOYD va sattaquer à un tir groupé de musique de
films, ou plutôt de musiques originales recréées pour loccasion. Dans
lordre, il sagira de Nosferatu, Faust, tous deux de MURNAU,
et enfin Häxan de Benjamin CHRISTENSEN. La musique de Metropolis de
Fritz LANG serait en préparation.
Nosferatu prend donc le parti pris de lélectronique, avec son utilisation
intensive du sampling, de bandes préenregistrés, et son armée de synthétiseur ou
autres instruments midi. Bien sûr, cela reste du pur ART ZOID, mais le son général,
sil dessert les mêmes intentions, pourra effrayer les plus rétiscents. Dans le
même temps, on peut se demander dans quelle mesure il sagit dun réel
changement, puisque seul loutil de départ a été modifié.
Faust poursuit dans une voie similaire, avec un aspect peut-être plus abordable.
On remarquera toutefois que les thèmes des films choisis ne séloignent pas trop du
monde effrayant dART ZOYD. Comme pour Marathonnerre, il ne nous est
malheureusement pas donné de saisir toute la profondeur de lentreprise puisque
lintérêt premier résidait dans le fait que les musiciens étaient censés
accompagner le film tout au long de sa projection.
Par contre, le dernier en date, Häxan est plus extrême, plus difficile, plus
minimal. Des deux compères, cest pourtant Thierry ZABOITZEFF, ayant récemment
décidé de quitter le groupe après plus de vingt cinq ans de bons et loyaux services,
qui semble sen sortir le mieux avec ce nouveau parti pris technologique. Ainsi,
cest sa suite, Epreuves dAcier qui emporte le flambeau en
harponnant littéralement lauditeur.
Lavenir du groupe sans ZABOITZEFF nest pas en remis en jeu. HOURBETTE,
toujours aussi à laise dans son véhicule, ne semble même pas se poser la
question. Dailleurs, il a déjà été débaucher Mireille BAUER (on se souvient
delle pour ses parties démentielles de vibraphone sur lalbum Shamal
de GONG). Un mariage à priori contre nature, mais rien nest moins sûr. De toute
façon, des projets, ils nen manquent pas, et qui peut décemment, aujourdhui,
rivaliser avec une activité aussi intense et une uvre aussi intègre ?
A suivre, donc.
Repères Discographiques :
Nosferatu (1989)
Faust (1996)
Häxan (1997)
Art Zoyd / Deane / Greinke (1990)
Marathonnerre I (1992)
Marathonnerre II (1992)
Patricia DALLIO :
Procession (1992)
Champs de Mars (1993)
La ronce n'est pas le pire (1994)
D'où vient l'eau des puits ? (1996)
Barbe Bleue - Kekzakallu (1997)
Daniel DENIS :
Enregistrements avec UNIVERS ZERO
Enregistrements avec PRESENT
En solo :
Sirius & the Ghosts (1991)
Les Eaux troubles (1993)
Thierry ZABOITZEFF :
Dr. Zab & his Robotic Strings Orchestra (1992)
Heartbeat (1997)
(D.S)
Quelques liens sur
le sujet:
www.artzoyd.com
http://www.unibase.cz/relax/Art_Zoyd/Art_Zoyd.html
http://www.salzburg.co.at/braun.zaboitzeff/#top