Bondage Fruit
Quand on parle de musique zeuhl aujourd'hui (précisons qu'il s'agit là des groupes
affiliés ou qui revendiquent une descendance quelconque avec MAGMA),
il est devenu presqu'inévitable de s'en référer à un nombre assez impressionnant de
groupes japonais ; nos amis nippons, très friands des groupes extrêmes et qui finissent
par le devenir eux-mêmes (RUINS, FUSHITSUSHA, BOREDOMS,
MERZBOW
). Et si les dernières réalisations de HAPPY FAMILY ou GESTALT s'inscrivent
dans ce courant, nous aurions tort de ne pas prendre en considération le groupe qui, le
premier, a appliqué ce langage et qui leur a survécu : BONDAGE FRUIT.
Créé au début des années quatre-vingt dix, le groupe publie son premier disque avec
une formation élargie de sept musiciens avec encore deux choristes et un saxophoniste. Si
le noyau dur ne subira aucune modification de personnel (jusqu'à présent du moins), sa
musique va néanmoins s'altérer au gré de ses errances et de ses approches. A la
publication de leur album éponyme en 1994, on compte dans leur rang : Ohtsubo HIROHIKO à
la basse, Okabe YOUICHI à la batterie et aux percussions, la cruciale Takara KUMIKO aux
vibraphone, marimba, glockenspiel et autres percussions traditionnelles, les deux
chanteuses Saga YUKI et Aki, et enfin le violoniste Katsui YUJI, propriétaire du label
Maboroshi No Sekai qui distribue les albums du groupe, ancien KICKS où il joua aux
côtés du guitariste Kido NATSUKI qui, lui aussi, rejoint la formation.
La musique de ce premier manifeste a des
allures de démonstration : il dévoile le champ des possibles que s'emploiera à explorer
le groupe tout au ! long de sa carrière. Si l'influence zeuhl est indubitable (rythmique
martiale, churs fait d'onomatopées diverses et constructions alambiquées), BONDAGE
FRUIT n'oublie pas ses origines. Et c'est en injectant des touches de folklore japonais -
par le biais des mélodies ou, plus évident encore, par le traîtement parfois presque
tribal des percussions - que le collectif arrive à se démarquer non seulement des autres
groupes japonais, mais de la scène zeuhl également.
A l'aube de la publication de leur deuxième volume, le groupe doit essuyer le départ
d'Aki, partie rejoindre Tatsuya YOSHIDA (RUINS) au sein de son
projet parallèle Koenji Hyakkei. Ce transfuge est d'une importance capitale, même si ses
répercussions ne se font pas ressentir dans l'immédiat. Saga YUKI doit gérer seule les
parties de chant, mais ce sera de courte durée, le groupe décidant, de toute évidence,
de laisser de côté cet aspect pour se concentrer sur les développements musicaux qui
deviennent de plus en plus touffus, de plus en plus complexes. Ainsi, si Bondage Fruit
II n'introduit pas de revirement fondamental dans son déroulement, c'est en toute
fin d'album, quand le chant disparaît pour laisser sa place à leurs deux énormes
pièces, Kodomo No Gentai et Terminal Man, que l'on commence à saisir
la portée du changement.
Un an plus tard, en 1997, cette fois
débarassé de Saga YUKI, le groupe nous offre un témoignage en concert enregistré au
Shinjuku Pit Inn de Tokyo ; une prestation exemplaire qui nous révèle un groupe
impatient d'en découdre avec ses compositons qu'il malmène le long d'interminables
improvisations où se chamaillent violon et guitare, lui conférant un air crimsonien non
négligeable et loin d'être déplaisant. III, autrement intitulé Récit
(baptisé du nom de leur longue plage de trente minutes !) bouillonne d'intensité et sent
l'urgence à plein nez. Les influences de KING CRIMSON donc, de MAGMA bien sûr et même du MAHAVISHNU
ORCHESTRA sont ingérées de manière telles que chacun de ces apports fusionnent
jusqu'à en devenir indissociables, uniques, et en fin de compte personnel.
Il faudra deux ans au groupe pour revenir au devant de la scène, avec toujours le même
line-up, immuable. Cette fois distribué en Europe par Musea, BONDAGE FRUIT s'assure ainsi
une promotion sur le Vieux Continent ; en les découvrant par ce biais, cela incitera ceux
qui les écoute, et parfois même ceux qui rédigent des biographies les concernant, à
chercher à en savoir plus sur le groupe, à se procurer ses autres enregistrements, tant
le pouvoir de séduction est énorme. IV est leur album le plus surprenant depuis
leur tout début ; comme leur premier, il joue la carte de la diversité sans forcément
mettre l'accent à tout prix sur la puissance. Ainsi, l'album se revêt d'une esthétique
blues acoustique, faisant écho à Odd Job qui ouvrait III - Récit.
Mais c'est à un tir groupé auquel on a droit ; les trois premiers titres se complaisant
dans cet apparât, au point d'en faire même ressurgir des parties d'harmonica (pastiche
?). Quoi qu'il en soit, cela ne gâche en rien la musicalité du groupe et apporte même
une certaine fraîcheur à un mouvement qui a souvent toujours exploité le même filon
sans jamais vraiment se remettre en question. Des touches orientales supplémentaires
viennent renforcer cette nouvelle direction, trahie seulement par le monstrueux Sono-Bank,
dix-neuf minutes de pure adrénaline musicale, juste là pour nous confirmer que nous ne
nous sommes pas trompés de groupe et que BONDAGE FRUIT demeure encore, et malgré les
apparences, une formidable machine rythmique qui explose tout sur son passage quand il en
ressent le besoin.
Tout récemment, ils publient Skin, leur cinquième album. Cette fois-ci, ils ont
décidé de jouer le jeu pleinement et s'abandonne aux structures, aux approches, voire
même aux clichés de la musique zeuhl. De par son architecture déjà (deux longues
plages d'approximativement vingt minutes) mais aussi, et surtout, de par son emphase.
Même si les chants demeurent absent, la musique de Skin apporte une gravité
qu'on avait rarement entendu chez BONDAGE FRUIT. A un point tel qu'on peut considérer Skin
plus comme un album de pur Rock in Opposition. Le violon ne s'agite plus comme un dément,
mais contient toute sa rage dans un râle sourd et glacial qui fait résonner ses cordes
jusqu'au profond de nous. L'atmosphère est plus pesante que jamais. Les deux titres, Skin
et Frasco, se déclinent comme deux longues montées, deux longues progressions,
dont l'apothéose refuse de se complaire, comme on aurait pu le croire, dans une explosion
apocalyptique, mais demeure avec cette tension sourde, frustrante pour tout dire, au point
de créer la dépendance.
Même si ses activités semblent avoir subi un sérieux ralentissement, BONDAGE FRUIT
continue à proposer des disques à chaque fois plus mûrs et plus aboutis, perpetuant
l'esprit et la flamme du mouvement zeuhl, bon gré, mal gré, envers et contre tout.
(D.S)
Quelques liens sur
le sujet:
http://www.asahi-net.or.jp/~uz6t-kti/bandprofile.html